Ce 11 décembre 2022 mon état grippal ne m’encourage pas à sortir prendre l’air.
14h10, je reçois un appel de Pascal, chasseur sur Cuers, qui m’informe de la chute de 2 chiens de chasse dans une faille, suite à une battue aux sangliers de la veille, vers Solliès-Toucas.
La présence de plusieurs failles et la nuit ont eu raison de leurs recherches, mais la sécurité imposait ce choix. Les recherches du matin malgré l’aide du GPS n’ont pas permis de localiser précisément la bonne faille où ont chuté les chiens.
Pépite, 28 kg et Newton, 36 kg, c'est du lourd!
Préparation du matériel, cordes, sangles, mousquetons et équipement de spéléo. J’essaie de contacter 2 collègues du club pour une assistance en surface mais personne n’est disponible. C’est donc Isabelle, mon épouse, qui assurera ma sécurité.
RDV est donné au début d’une voie privée. Les chasseurs arrivent en nombre et il y a des jeunes…super, ils se proposent de porter nos sacs à dos.. encore plus super ! D’un pas alerte la colline est gravie et on se trouve au bord de la première faille. C’est celle qui semble la plus prometteuse pour commencer les recherches. L’emploi du GPS avec localisation VHF confirme la présence des chiens dans un rayon de 30m.
Cependant, il est déjà 15h00 et il ne reste que 2h de jour. Je propose donc de faire une équipe de sauvetage, les 2 spéléos + 3 chasseurs et une ou 2 autres équipes de recherche car il y a au moins 6 failles dans le secteur.
La faille se présente sur une longueur de 5/6m et de 2m de large avec des blocs instables et une roche qui se délite. Je m’équipe avec baudrier et casque. Je trouve un gros pin qui sera un bon point d’ancrage puis en dessous un gros bloc. Je triple les amarrages car c’est un vrai terrain d’aventure et je dois être la première personne à descendre dans cet aven.
Un passage étroit me laisse découvrir un élargissement, 4m de descente pour arriver sur un palier instable. La fissure se prolonge de quelques mètres, un petit élargissement me permet de m’allonger et de passer un passage étroit, les blocs sont instables…. Je progresse de 2m, mais la faille se rétrécie et il n’y a aucune trace de grattage. Donc ce n’est pas de ce coté. Je me re-contorsionne pour revenir au point de départ. Mais de l’autre coté la faille est bien plus étroite. Il faut donc remonter car ici il n’y plus d’espoir.
Arrivé à la surface, je commence à déséquiper la fissure, et une bonne nouvelle est arrivée. En effet, on entend le collier d’un chien équipé d’un GPS qui dispose d’une option « sonnette » (signal quand le chasseur active un bouton). Déjà quelques mesures précédentes nous avaient orienté vers ce lieu.
Effectivement la faille au dessus laisse entendre cette divine mélodie et tout le monde se retrouve au bord de la faille. Là, c’est un autre jambon car il y a un petit pin de 10 cm de diamètre et un arbuste sauvage encore plus petit. Un amarrage triangulé est mis en place. La corde est descendue en double avec une poulie pour diviser le poids par 2 lors de la remontée.
Là aussi la descente se fait avec prudence, dire que je me faxe dans la faille est l’image parfaite de la situation. Après 4 m de descente la fissure présente un S qui oblige à suivre la même disposition, mais ma corpulence passe.
Puis une dizaine de mètres de descente et j’arrive sur un gros bloc coincé dans la faille. Pépite est là, calme, contente de voir du monde. Un premier diagnostic par palpations prudentes des membres et de la tête me rassure sur l’état « mécanique » du chien. J’aménage un harnais de fortune avec des sangles et fait en sorte que Pépite ne puisse s’échapper d’autant plus qu’il y a le passage étroit plus haut. La poulie est fixée et je donne ordre de hisser doucement pour voir le comportement du chien ainsi que le dispositif de maintien.
Mètre après mètre, Pépite progresse, tout va bien. Evidemment, au niveau du S, les chasseurs hésitent un peu à forcer, mais vu que j’y suis passé, il n’y a pas de raison que Pépite n’y arrive pas.
Un dernier effort et voilà le chien à la surface réconforté par son maître et ses collègues.
Et d’un !
Pour Newton, ben pas de Newton en vue!
La faille descend encore de 5/6 m avec de gros blocs instables. Je crains le pire. Je dois descendre car il a du tomber plus bas. En effet, 2m en dessous, coincé à l’horizontale sous deux blocs, Newton est là transi de peur. Quelques paroles pour le rassurer, quelques caresses, mais rien n’y fait.
Il n’ose même pas lever une patte ou bouger. Le sauvetage va être un peu plus compliqué.
Sa position instable m’oblige à descendre à sa hauteur et à le faire riper sur mes genoux pour accéder à ses pattes. Bref, après plusieurs essais voilà Newton harnaché comme il se doit, mais la remontée risque d’être laborieuse d’autant plus que je ne pourrais pas monter avec lui.
Ordre est lancé pour le hissage avec prudence car j’ai des doutes sur la position du harnais.
Le chien monte lentement, tout va bien et arrive pour lui aussi le passage en S. Même ordre, même motif…un petit effort et voilà la liberté pour Newton.
Remontée de Newton
Pendant ce temps là, le bloc où était Pépite a décidé de descendre de 4 m, me passant entre les jambes. Du point de vue spéléo, en temps normal, voir des blocs qui descendent de plusieurs mètres donne de l’adrénaline et invite à l’exploration, mais là…..non, pas vraiment. Trop dangereux !
Les retrouvailles de 2 chiens donnent du baume au cœur aux chasseurs, mais m’obligent à réclamer la corde pour sortir rapidement de cet endroit malsain.
Ben, pour moi aussi il y a le passage du S qui coince un peu mais le comité d’accueil est bien présent : applaudissements, hourras, etc…que du bonheur.
On remballe le matériel et déjà la nuit est entre chien et loup. A savoir que, déjà voir les failles en plein jour c’est pas gagné, mais alors la nuit, cela tient de la roulette russe !
Bien sur, on met une laisse aux chiens par prudence et la joyeuse équipe s’en retourne aux voitures.
Les chasseurs invitent les spéléos pour fêter cet heureux dénouement et l’équipe au complet de Cuers nous rejoint pour l’apéro. Cela ressemble beaucoup à une fin des albums d’Astérix et d’Obélix : (du sanglier, de la convivialité et l’apéro) !
C’est donc avec un verre à la main et les chips de l’autre que chacun y va de ses émotions, de ses récits et de ses remerciements.
Après une heure d’échange, nous rentrons sur Ollioules avec 10 kg de viande de sanglier dans le coffre et le sentiment d’avoir fait notre devoir.
Cela fait du bien de rencontrer des gens qui ont une passion comme nous et de pouvoir nous montrer utiles. Bien entendu, au printemps nous irons repérer ces cavités pour les mettre dans le fichier spéléo.
Parfois dans la vie, il y a des moments uniques d’humanité, de fraternité et ce jour là, nous en avons tous goûté une belle tranche !
Isabelle & Robert